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Avec Earthwake, Samuel le Bihan s’attaque à la pollution plastique

Par Paul Molga, le 7 mars 2023

Journaliste

@ Naja Bertolt Jensen -Unsplash

L’entreprise créée par l’acteur avec l’ancien directeur d’Action contre la Faim, François Danel, a développé un procédé de pyrolyse low-tech qui transforme le polypropylène et le polyéthylène en carburant. Il veut s’attaquer aux montagnes de déchets, là où elles sont.

 

Deux tiers de temps acteur, un tiers startuper. Président de la société Earthwake Entreprise, Samuel le Bihan, le héros de la série culte de France 3, Alex Hugo, n’est pas de ceux que l’hyperactivité effraie. « Présider une entreprise est un sport de combat. C’est beaucoup de travail, de stress, de défi… Mais chaque avancée procure des émotions intenses », souffle-t-il. Surtout quand on s’attaque comme lui à la pollution plastique, « un des plus grands fléaux environnementaux et sociaux de notre siècle ».

Avec EarthWake, Samuel le Bihan s'attaque à la pollution plastique
Samuel le Bihan, cofondateur d’Earthwake © DR

Nous sommes en 2014. Avec son associé François Danel, ancien directeur général d’Action contre la Faim où il siégeait, l’acteur a commencé par monter une association. Pour d’abord étudier les moyens d’éviter que le plastique finisse en cimetière dans les océans. C’est ensuite la rencontre, sur les hauteurs de Nice, de l’inventeur Christopher Coste. Celui-ci va donner de l’élan aux ambitions du projet, comme une bonne vague qu’on attrape en mer, sa passion.

L’homme a en effet conçu un appareil inédit qui permet aux plastiques – polyéthylène et polypropylène – de retrouver leur état initial. Cela repose sur le procédé de pyrolyse, qui casse les molécules de polymère pour les faire revenir à l’état initial d’huile. Une fois filtré, ce liquide visqueux est transformé en diesel sans produire aucun déchet. Avec 40kg de plastique, son démonstrateur produit ainsi 40 litres de carburant.

 

Économie circulaire

Avec Earthwake, Samuel le Bihan s'attaque à la pollution plastique 4En 2020, l’entreprise est créée. Une première levée de fonds de 300 000 euros est réalisée pour améliorer le dispositif. Trois brevets sont déposés et les premiers tests grandeur nature sont lancés. Comme alimenter plusieurs camions de ramassage d’ordures de la commune de Puget-Théniers (06) en carburant plastique : 800 litres produits en un an à partir de déchets collectés en ville. « Nous avons prouvé la pertinence de notre modèle d’économie circulaire de proximité », se réjouit François Danel, directeur général.

Les premières ventes ont démarré au prix unitaire de 600 000 euros. Logé dans quatre conteneurs maritimes, l’appareil – baptisé Chrysalis – va rejoindre un village du Guyana en Amérique latine. Un autre ira en Tunisie pour alimenter les bateaux de pêcheurs des îles de Kerkennah en valorisant les nasses en plastique. Un autre encore à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) comme une des pierres de son territoire zéro déchet. Une quarantaine d’autres Chrysalis devraient être installées dans le monde avant que l’entreprise bascule son modèle vers la vente de licences auprès de grands groupes industriels et d’acteurs du déchet. « Notre procédé va leur permettre de s’approcher au plus près des gisements de déchets. Et leur éviter de parfois traverser des milliers de kilomètres. Comme en Martinique où les gaines plastiques de murissage des bananes sont incinérées en Espagne », défend François Danel. L’entreprise pourrait ainsi réaliser 44 millions d’euros en 2026.

 

♦ Relire l’article : Les croisés de la pollution plastique

 

La Tech 2.0

Avec Earthwake, Samuel le Bihan s'attaque à la pollution plastique 3
La pyrolyse casse les molécules de polymère pour les faire revenir à l’état initial d’huile ©DR

Avec Earthwake, Samuel le Bihan surfe sur la vague du low-tech. Faire mieux avec moins. La « génération frugale » en rêve depuis des années pour tenir les engagements européens de neutralité carbone en 2050. Dans une étude prospective listant plusieurs scénarios de sobriété, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) imagine différents chemins pour y parvenir. Mais tous n’ont pas le même niveau d’acceptabilité sociale. Le plus radical envisage de retrouver les fondamentaux des années 1970 : diviser par trois sa consommation de viande et d’électricité, réduire de 30% la construction de logements neufs, limiter ses déplacements ou encore relocaliser 70% de la production d’acier, de verre ou de papier. Ce scénario permettrait de diviser par deux la demande énergétique globale (790 térawattheures).

À l’opposé, un « pari réparateur » se dessine : les experts ont calculé qu’en faisant massivement appel aux technologies telles que la captation et le stockage de carbone, l’intelligence artificielle et l’internet des objets (IO), la consommation énergétique du pays pourrait baisser de 23% par rapport à 2015 (1360 térawatt/heure en 2050). « Insuffisant pour sauver notre société de consommation », juge cependant l’Ademe.

 

Le bon sens des anciens

Entre ces hypothèses, deux scénarios intermédiaires misent sur des solutions jugées plus réalistes, qui s’appuient sur des « coopérations territoriales » et des « technologies douces ». Au menu : innovation frugale, recyclage massif, adaptation des logements à la taille des familles, habitat partagé, circuits courts industriels… « Les low-tech ont toute leur place dans ces schémas de sobriété », expliquent les auteurs de ce rapport de presque 700 pages.

De nombreuses innovations foisonnent pour donner le La au mouvement. La plupart sont inspirées du bon sens. L’ingénieur Corentin de Chatelperron a passé plusieurs années à observer la façon dont s’y prennent les artisans du monde pour satisfaire avec le minimum les besoins vitaux leurs communautés. De quoi constituer un véritable catalogue de la débrouillardise : four solaire à réaliser soi-même, frigo du désert à base de terre cuite, de sable et d’eau, marmite norvégienne économe en énergie, lave-linge à pédales… Dans le Lowtech Lab qu’il a créé, il collecte, expérimente et diffuse en open source des solutions à contre-courant de la course en avant technologique. « Tout est récupérable », défend-il.

 

Développer l’écoconstruction

Les écoles d’ingénieur s’y mettent aussi (bonus). La ville est leur terrain de jeu, car il y a urgence. En France, le bâtiment représente en effet près de 45% de la consommation énergétique nationale et plus 25% des émissions de gaz à effet de serre. « Nous avons acquis la conviction qu’une démarche low-tech pourrait être, à l’échelle d’un territoire, fertile en initiatives de nature à accélérer la transition et développer la résilience », explique Philippe Bihouix. Ce ingénieur cosigne d’ailleurs un rapport de l’Ademe sur « la ville low-tech » (bonus).

Le Labo de l’ESS a récemment exploré le concept avec le concours des villes et métropoles de Bordeaux, Lille, Strasbourg, Lyon, Paris et Poitiers. Densifier l’habitat. Recycler les espaces urbains en friche. Développer l’écoconstruction. Favoriser les équipements frugaux. Réemployer les matériaux de construction. Utiliser un mobilier urbain plus durable que l’affichage lumineux. Régénérer le cycle de l’eau. Développer les mobilités actives au quotidien. Lutter contre l’autosolisme. Privilégier le « faire soi-même » et la réparation, figurent entre autres parmi les bonnes pratiques référencées par le think tank. « Il ne s’agit pas de refuser la technologie, mais de l’utiliser autrement », explique son président Hugues Sibille. L’intelligence rêvée des smart-cities des urbanistes est peut-être moins tech… ♦

 

Bonus
  • Les écoles d’ingénieur. À l’Institut national des sciences appliquées de Lyon (Insa), Romain Colon de Carvajal enseigne à ses étudiants en conception mécanique à créer des dispositifs low-tech. À l’image des vélos-cargo qui fleurissent désormais en ville pour transporter des charges de plusieurs centaines de kilos. « L’enseignement technique redécouvre les bénéfices de ce modèle », constate-t-il. Centrale Nantes et l’INP de Grenoble dispensent également une option « ingénierie des low-tech ». Les étudiants inscrits y apprennent à concevoir des solutions techniques sobres, « en rupture avec le modèle de croissance ».

À Guingamp, la Low-tech Skol propose même depuis l’an passé une formation – limitée pour l’heure à une quinzaine de personnes éloignées de l’emploi – pour devenir technicien low-tech ou agent spécialisé en économie circulaire. À l’issue de 1000 heures de formation, les candidats sont aptes à aider les entreprises « à réaliser des économies et à les préparer à la transition vers un modèle économe en matière et en énergie grâce à des techniques visant à réduire la complexité des produits et des procédés tout en minimisant la consommation de ressources et la production de polluants », décrit l’école.

 

 

  • L’économie circulaire en chiffres

> 342 millions de tonnes. La quantité de déchets produits en France, soit 4,9 tonnes par habitant. 240 millions sont produits par la construction, en baisse de 9% en dix ans, 63 millions par les entreprises (-13%) et 39 millions par les ménages (-3%)

> 66%.  La quantité de déchets faisant aujourd’hui l’objet de recyclage, en hausse de 11% en dix ans. 6% sont valorisés énergétiquement (+48%) et encore 21% finissent dans les centres d’enfouissement et les incinérateurs (-21%).

> 23 millions de tonnes. La quantité d’émission de carbone évitée grâce au recyclage. La filière représente 113 250 emplois et génère une production énergétique équivalente à 11 millions de barils de pétrole.

> 67%. L’approvisionnement en matières recyclées de l’industrie papetière française. Le pourcentage s’élève à 58% pour l’industrie du verre et 49% pour la sidérurgie.